Texte de Tizou PEREZ

Ici, ailleurs et au-delà.

Ouvertures

Je me souviens de cette nécessité impérieuse : trouver un espace de respiration avec les élèves, sans chrono, sans couloirs, sans score. Un interstice à investir, un territoire à défricher, portée dès le départ par une intuition forte, un désir d’ailleurs.

Je me souviens des balbutiements pédagogiques, entre mes propres expériences et leurs rêves d’adolescents, entre apports de vocabulaire et temps de recherche, entre imaginaire à stimuler et exigence des mises en forme.

Je me souviens des chemins de traverse empruntés pour délier, relier, déplacer, essayer encore et encore la délicate rencontre avec l’activité artistique et les décalages qu’elle suggère. J’en revois les empêchements, les élans, les émerveillements inattendus.

Je me souviens des autres Arts qui m’ont éclairée sur tant de possibles et m’ont permis de creuser le sillon d’une démarche à la fois étayée et ouverte, traversée de moments de doute, ponctuée de découvertes troublantes. L’expérience théâtrale par exemple, fondée sur la présence du corps, sa musicalité, dans un espace habité par les autres, habité par les mots. Silencieux aussi. Juste suggéré parfois.

Je me souviens des passeurs qui m’ont aidée à franchir les obstacles, à accepter l’esquisse, à élargir les perspectives.

Aventures

Je me souviens des rencontres avec les enseignants d’EPS : de ceux qui résistaient, de ceux qui n’osaient pas, de ceux qui, en s’engageant dans le processus de création, voyaient peu à peu comment le vivre et le faire vivre dans leurs classes, à leur manière. Ceux-là, et tant d’autres m’ont aidée à clarifier l’approche, à fonder mes choix, à écrire avec celle des commencements, des avancées complices.

Je me souviens de réels moments d’émotion, de retours sur les essais, les réussites, les zones encore floues.

Je me souviens aussi des étudiants en STAPS dont il fallait apprivoiser l’entrée en danse, un rapport au corps différent, l’accès à une dimension sensible, le jeu toujours subtil entre les possibles du mouvement. Un dialogue de l’écoute et de l’échappée.

Comment faire expérimenter, comprendre, intégrer une démarche sans la figer ? Comment les aider à développer un vocabulaire adapté pour dire plus, pour dire mieux, pour dire avec nuance ce qui semble essentiel et que le geste porte, bien au-delà de soi ?

Comment les accompagner tout en laissant leur imaginaire de futur enseignant investir de nouvelles pistes ?

Là encore de beaux moments, sensibles, émouvants, justes, où le corps se déploie dans des espaces-temps qu’il s’agit de construire avec soi-même, avec les autres. Un rapport au monde différent, singulier, qui fait les relations plus profondes et plus habitées, tout en gardant un espace secret dont la création permet de partielles émergences.

Je me souviens de stages en direction de publics de plus en plus diversifiés : enseignants, formateurs, débutants ou non, en France ou ailleurs. mais aussi danseurs, musiciens, plasticiens. Chaque fois le plaisir de proposer, de cheminer avec, de partager.

Toujours la même envie d’explorer, d’aider à traverser, à grandir, à se découvrir.

Ecritures

Et puis la mutation de cet investissement intense, structurant, fécond.
Moment indéfini où l’écriture chorégraphique glisse subrepticement dans l’écriture poétique.

Accompagner alors ces emmêlements
Dire avec le corps ce que les mots empêchent
Dire avec les mots ce que le corps oublie.

Je me souviens d’un texte déposé sur une fin de stage
Un texte-reliement, un texte de l’après, du souffle encore présent.

Ils sont là, plongés dans leur univers
A même le sol, à même les mots

Glissement des feuilles
Silence des stylos
Respiration
Fatigue sans doute

Je lâche prise avec le temps
Pour une autre rencontre
Eux, tous, si différents

Je saisis en cet instant
L’écoute incarnée, l’ouverture des mots
Le silence troublant du corps
Quand il ne trouve pas de chemins pour se dire

Aller ailleurs sans se perdre
Revenir ici, après, peut-être
Traversé, nourri, réinventé
Dans un infini déploiement de couleurs nouvelles.

Regards échangés, bien au-delà du gué,
L’esquisse d’un geste signe un nouveau paysage.
Territoires fragiles, sans fin revisités
Dans ce même désir qui invite au voyage.

Tizou Perez-Roux
juin 2009