Michelle Coltice : Texte

« Le maître est un livre ouvert, une mémoire en totale et continuelle transformation, ajustement, actualisation, un chantier… Livre ouvert à la page d’aujourd’hui. L’important est ce qui se vit et se dit au jour le jour… Le maître montre plus d’expérience que de savoir. C’est un praticien : il n’impose pas une science, une école, un style, il propose une pratique… Son œuvre consiste simplement, par sa propre mise en œuvre, à faire mettre à l’œuvre ceux qui l’entourent… »

Dominique Dupuy. « Le corps du maître » (1982)
Un petit préambule, approche de la notion de passeur de danse. Car je ne me suis jamais perçue sous ce terme. Il faut donc que je tente de clarifier le sens qui peut me convenir et vous proposer un petit détour.
Il semble aujourd’hui que le mot de passeur soit utilisé facilement voire rapidement. Il est partagé dans différents champs de notre vie sociale et culturelle et dernièrement dans la vie scolaire.
•  La première utilisation qui me vient à l’esprit et qui occupe beaucoup les médias est celle des passeurs de clandestins qui seraient les personnes payées exagérément par des gens pauvres pour faciliter le départ de leur pays souvent ravagé par les guerres et la misère vers d’autres horizons,
soi-disant plus accueillants où ils devraient pouvoir vivre mieux.
Ces passeurs-là sont bien renseignés, utilisent leurs connaissances et leur savoir-faire pour prendre en charge et abandonner sur l’autre rive des personnes en attente de quelque chose qui pourrait améliorer leur vie. Ceci est bien sûr monnayé et ces passeurs-là tirent un profit considérable de leur
« métier ». Ils sont aujourd’hui recherchés et montrés du doigt par tous ceux qui rejettent une immigration non choisie.
Il y a eu, dans l’histoire, des passeurs plus glorieux qui prenaient des risques et qui permettaient à des personnes d’échapper à l’oppression…
Ces passeurs sont des intermédiaires qui aident à des déplacements géographiques dont le but est la recherche d’une vie meilleure, la liberté…
•  La seconde concerne le passeur culturel, notion récente concernant la circulation des idées, les transferts culturels entre groupes sociaux, civilisations. Elle est utilisée depuis quelques années notamment par ceux qui œuvrent auprès de groupes sociaux défavorisés et de cultures différentes. Il y a un peu l’idée qu’il s’agit de faciliter l’appropriation d’une culture définie : le passage de quelque chose reconnue (culture dominante) qui vient du dehors, pour aller vers le dedans des sujets, où règneraient la confusion, la non culture, la sous culture non admise, la culture dominée…
•  Enfin récemment, l’enseignant dans la vie scolaire est appelé à devenir un passeur. Darcos, alors Ministre de l’E.N (Avril 2009), a «  la conviction profonde que les professeurs ne sont pas, au musée, des visiteurs tout à fait comme les autres. Éducateurs, ils sont aussi des passeurs de culture qui offrent à nos enfants une ouverture d’esprit absolument centrale dans la formation du jugement… Rappeler que le rôle des enseignants est fondamental dans la transmission de la culture, c’est aussi renouer avec une vérité antique puisque dans la Grèce ancienne, le mot éducation signifiait à la fois éducation et culture, c’était la paideia. Je crois également qu’il était essentiel que ce rôle de passeur de culture soit mieux reconnu, au moment même où notre ministère renforce la place accordée à l’histoire des arts ». Il est intéressant de noter qu’il est question de passeur de culture. Alors que Zackhartchouk, parle davantage de passeur culturel, quand il invite les enseignants à faire intervenir dans les apprentissages fondamentaux la culture. Les Québécois semblent s’être inspirés de cette notion et font des propositions de « trousse du passeur culturel » pour lier construction identitaire et arts et culture.

Passeur de culture, passeur culturel, passeur de danse ? Les questions sont nombreuses et selon d’où elles viennent, elles nécessitent de prendre le temps pour construire le sens :
•  Est-il question de déplacements de démunis ?
•  Est-il question de montrer des horizons de libertés possibles ?
•  Est-il question de remplir du vide ?
•  Est-il question de transformations personnelles par la magie de la culture ? Par le contact avec les œuvres ?
•  Est-il question de présent de passé et d’avenir ?
•  Est-il question de connaissances ? de savoir-faire ?…

Suis-je un passeur (une passeuse ?) de danse ? Le féminin, que mon appartenance sexuée organise, n’est pas sans effet sur mes démarches. Donc, pour être sincère et attentive à ce qui me construit, c’est bien en acceptant le vocable de passeuse que je vais tenter de répondre à la question « ai-je été, suis-je passeuse de… ? » Question que je ne m’étais jamais posée.
« Passeur culturel » est un concept récent et qui cristallise bien aujourd’hui la situation angoissée à la fois du post modernisme et des éducateurs face à des pratiques de jeunes, davantage tournés vers les nouvelles technologies ou des pratiques physiques de défi, que vers des expériences corporelles sensibles et référencées artistiques. Cependant, il a toujours été question pour moi de culture. La thèse que j’ai soutenue en sciences de l’éducation à Lyon en 2000, qui avait pour titre : le danseur scolaire : un pratiquant « culturé », montre bien ma préoccupation. Celle-ci est de proposer aux élèves des apprentissages dans des situations pédagogiques significatives, qui cristallisent des fondements culturels partagés. Les travaux des anthropologues et des épistémologues m’ont été d’un grand recours.
La longévité de mon expérience me permet d’établir un itinéraire professionnel qui révélera à la fois l’évolution de mes pratiques pédagogiques et aussi celle du contexte culturel, artistique et scolaire. En effet, je considère que les transformations vécues sont étroitement liées aux conjonctures.

Je peux envisager aujourd’hui 3 périodes :
1. La première commence en 1973 au collège. Dès ma prise de poste, j’inscris au programme de tous mes élèves l’activité expression corporelle et
je propose dans le cadre de l’association sportive (en plus des autres activités sportives que je dois mener), un atelier de danse créative.
De quoi s’agit-il ?
Je suis très influencée à l’époque par des rencontres et des pratiques de formation : Françoise et Dominique Dupuy, Claude Decaillot, Karin Waehner,
Pinok et Matho, le groupe de réflexion du GREC de Toulouse, Isaac Alvarez, Claude Pujade-Renaud… Je me reconnais davantage dans ce que
Jacqueline Robinson appelle la lignée « Laban et Wigman » et aussi certains aspects de la danse libre de Malkowski. Comment en EPS faire
émerger le corps expressif ? Comment favoriser l’activité créatrice ?
Comment construire de nouvelles relations enseignant/élèves pour atteindre ces objectifs ? Nous sommes traversés par les interrogations du moment
post 68. Il importe de permettre aux élèves de vivre des expériences corporelles nouvelles qui correspondent à leur construction identitaire
adolescente.
Puis-je être à ce moment-là une passeuse ? Et de quoi ?
Les références aux œuvres sont peu accessibles, les plus éduqués des élèves ont entendu parler de Maurice Béjart. Pas d’images, d’œuvres supports à montrer. Uniquement, notre dynamique propre, notre croyance en un dépoussiérage du formatage corporel, qui sclérose, empêche la mobilité, le geste libre et assumé. Tous les danseurs cités ci-dessus sont nos référents, ils sont des pédagogues, ils ont expérimenté, souvent avec nous d’ailleurs les jeunes profs d’EPS, des méthodes de travail. Ils nous ont permis de construire un regard nouveau sur la motilité, sur les dynamiques, les circulations et propagations du mouvement. Ils ont aussi créé des liens originaux entre l’expert et l’apprenant et montré des voies possibles pour installer des climats de confiance, de l’empathie vis-à-vis des tâtonnements et des productions d’élèves.
J’ai toujours proposé aux élèves des situations pour inventer des mouvements nouveaux, pour créer des séquences dansées qui seraient montrées à d’autres travaillant sur les mêmes sujets. Il n’a jamais été question pour moi de travailler le corps pour soi, sorte de gymnastique sans code… L’idée de la prestation appréciée par le groupe incitait les élèves à prendre acte des possibilités créatrices de chacun, à lire les corps dansant avec un modèle que nous partagions ensemble. Souvent, il était fait comme un puzzle pas toujours bien emboîté de connaissances de la danse : les élèves avaient plutôt des images de la danse classique, folklorique ou de couple, j’étais la seule à apporter par mon engagement physique une façon d’utiliser chaque partie du corps, de rechercher la fluidité du mouvement, la musicalité… et pourtant, je ne voulais pas être un modèle, je refusais d’être une solution, avec un mouvement écrit et préparé à l’avance. Beaucoup de mes collègues (parmi la minorité qui enseignait la danse à l’époque !) proposaient des enchaînements type Jazz ; Pas très éloignés de l’enseignement de la gymnastique, et en plus une gymnastique pour les filles, faites de petits pas, coordonnés avec des bras sur un rythme actuel…
Cette période qui a duré, je pense, jusqu’en 1985, 87, m’a permis de construire les fondements de ma pratique enseignante.
•  Les enjeux de la pratique de la danse créative et expressive : éveiller la curiosité de tous les élèves vers la pratique et la lecture du mouvement expressif, esthétique, qui exige d’abord la tolérance, l’empathie, l’harmonie avec ses partenaires. Découvrir le plaisir du mouvement libéré de ses conventions sociales. Permettre aux adolescents de jouer des rôles, des situations « pour de faux » en étant soi-même, dans des gestes authentiques émouvants… Vivre des relations de confiance et de partage d’émotions esthétiques avec les élèves.
•  Une méthodologie de travail pour construire une leçon : proposer toujours un sujet, un thème, c’est-à-dire des images qui peuvent donner du sens aux situations proposées. Faire l’inventaire des possibles avec le corps et les composantes du mouvement. Inventer en petit groupe une danse collective où chacun a sa place. Montrer sa danse.

2. À partir de la fin des années 80 et jusqu’en 95, j’ai la chance de participer
à l’aventure de la Maison de la danse à Lyon, alors à La Croix-Rousse, et de
ses premières Biennales. À la même période, je rencontre Philippe Meirieu
et Michel Develay pour « différencier la pédagogie » et participer avec eux aux
actions de formation pour la rénovation des collèges. Je rejoins le groupe de
recherche en innovations pédagogiques, Spirales du CRIS de Lyon. Enfin,
les Inspecteurs Pédagogiques R égionaux du Rhône m’offrent la possibilité
de faire des formations continues en danse et aussi de travailler sur les
nouveaux programmes en EPS.
C’est un moment que je qualifie de rupture avec les années précédentes
pour au moins trois aspects :
•  Le choix explicite de la danse contemporaine comme pratique artistique
de référence. Celle-ci a enfin trouvé des espaces de diffusion et de création, reconnus. La plupart des chorégraphes de ces années-là sont très proches et ouverts à tous les militants de la danse. Ils partagent leurs univers lors de nombreux stages, leurs écritures, et nous apportent ainsi des pratiques et des connaissances indispensables pour éclairer les choix pédagogiques. Pour n’en citer que quelques-uns : Les Dupuy (toujours), Bagouet, Christine Burgos, Plassard, Cré-Ange, Hervieu – Montalvo, Christiane Blaise, Josette Baïz, les compagnies de Hip-Hop de la région lyonnaise… Cette affirmation de la référence nous oblige à élaborer des contenus d’enseignement nouveaux et plus précis pour les programmes du collège. Ces derniers reflètent notre choix résolu, d’une pratique scolaire motivante grâce à son empreinte culturelle. J’ai la chance de lire le livre, « La parole est à la danse » écrit par deux Québécoises en 1983. Elles font une analyse pédagogique de la danse créative dans laquelle je retrouve toutes mes réflexions personnelles et ce livre restera une référence didactique.
•  L’ouverture du cours de danse en EPS à des projets interdisciplinaires, à des projets artistiques qui permettent la rencontre des artistes. Ils s’inscrivent aussi dans une perspective de travail en équipe pédagogique au sein d’une classe.
•  L’organisation de l’association sportive, qui passe de rencontres amicales à des rencontres médiées par un artiste. Dans le département de l’Ain, nous refusons en 1988 de participer à des rencontres sélectives aboutissant à des rencontres nationales. Grâce à la constitution d’une « cellule danse » avec l’ADDIM, nous pouvons financièrement organiser des résidences de chorégraphes (cités ci-dessus) qui interviennent auprès des groupes UNSS du département. Certains comme Christine Burgos, Denis Plassard vont même jusqu’à être les porteurs du projet artistique du département.
Suis-je passeuse et de quoi ?
Pendant cette période, mon activité la plus engagée se situe auprès des enseignants d’EPS à qui les nouveaux programmes allaient demander d’enseigner la danse contemporaine…
J’ai tenté de transmettre le goût pour les pratiques artistiques dansées avec beaucoup de difficulté à cause souvent d’une ignorance masculine revendiquée par les enseignants. Je l’ai fait en utilisant les notions de projets avec les autres disciplines. Là encore, difficulté à partager avec des enseignants non EPS !
Si avec les élèves, nous avons vécu des moments de travail inoubliables pour tous, avec de vraies transformations dans les visions du corps en mouvement, des esthétiques proposées… avec les enseignants je ne pense pas avoir été une passeuse fière de son efficacité ! Le plaisir ponctuel de voir certains enseignants proposer un cycle danse, est terni par tous ceux qui continuent de me dire : « l’année prochaine, je me lance ! ». Et les années passent et nous pouvons encore aujourd’hui observer le peu de place occupée par l’enseignement de la danse au collège comme au lycée. Tout va mieux dès lors que les enseignants, comme les élèves, sont « options » et se choisissent pour travailler ! Pourquoi les profs d’EPS ont aussi peu confiance dans leur potentiel de créativité gestuelle ? Pourquoi portent-ils en eux la honte de se mouvoir sur des rythmes et des espaces choisis ? Pourquoi restent-ils sur le pas de la porte des théâtres ?
C’est à cette période que ma féminité n’est pas un atout majeur pour « passer ». Et peut-être que c’est à ce moment-là que se dessine ce qui deviendra ensuite mon objet de recherche actuel. « Féminin et masculin dans les apprentissages, exclusion ou inclusion ? »
C’est aussi à cette période que, pour prolonger les stages pratiques de formation, je commence à écrire. Je suis aidée en cela par le groupe Spirales de l’UFR de Lyon, qui mène autour de Paul Goirand et Jacques Metzler, un travail approfondi sur le traitement didactique des APSA. Mon article publié en 1992 dans Spirales n°4, tente de faire le point sur les différentes façons de « jouer » en danse, et montre la volonté d’inciter les enseignants à programmer cette activité dans le cadre de l’EPS, dans une continuité d’approche didactique. Le premier document vidéo en 1983 : « une démarche de création en danse » réalisé avec le CDDP de l’AIN et d’autres ensuite notamment en 1985 : « danser pour apprendre, apprendre à danser », poursuivent cette idée de transmettre le goût de l’éducation corporelle et artistique par la danse. Il faut noter ici que ceux qui m’aident le plus à construire un enseignement de la danse pour tous au collège, sont les didacticiens de l’EPS et les personnalités des Sciences de l’éducation que sont Meirieu, Develay et Avanzini. Ce sont aussi, les collègues « danseuses » du département de l’AIN qui acceptent d’expérimenter avec moi des formes de pratiques innovantes et qui me permettent d’aller les voir, de les interroger, d’observer les effets des propositions didactiques sur les élèves.
Les contacts riches et variés avec les artistes permettent enfin d’élaborer des nouvelles pistes de travail pour apprendre à lire des œuvres, pour travailler les corps, pour choisir aussi nos sujets de créations. Dans la revue EPS n° 269 en 1998, je relate les bienfaits du travail en partenariat avec les artistes expérimentés pendant cette période dans le cadre de l’UNSS.
Pour résumer cette période, je suis davantage une militante de la danse : la danse pour tous, partout ! et une passeuse de situations didactiques et pédagogiques. Tentant par là de s’insérer dans l’aventure du collège unique où les élèves multiples et différents sont au centre des apprentissages.

3. À partir de 1995 et jusqu’en 2006, je travaille aussi à l’IUFM à mi-temps et
au collège et je vais passer en 2000, une thèse en Sciences de l’éducation.
J’analyse beaucoup l’activité des élèves, les miens et ceux d’une collègue,
Colette Robin qui m’accepte dans ses cours en observation. Les temps
changent, les élèves aussi. Plus je les observe, plus je note le décalage
entre les propositions de danse créative, d’ateliers menés par des danseurs
contemporains et la motivation des élèves. Un petit groupe de mon collège
ne veut pratiquer que le Hip-hop, construire une habileté de performance.
J’accède à leur demande d’ouvrir le gymnase pour qu’ils s’entraînent des
heures à faire des pirouettes. Je les observe, je tente d’analyser leur façon
d’apprendre : beaucoup d’imitations, de répétitions, peu de langage.
Je cherche à trouver des liens entre leur pratique de reconnaissance
culturelle et la mienne. C’est encore sur les relations affectives que je tisse
toujours avec les élèves que j’arrive à mener mon enseignement. Mais cela me paraît pourtant bien superficiel. Je les retrouve dans la gare certains week-ends en train de danser. À ce moment, dans cet endroit, je suis heureuse de constater leur accueil chaleureux et leur demande d’un regard critique qu’ils me refusent dans le collège…
Comment ouvrir le champ culturel des pratiques ? Comment les amener à sortir d’eux, à trouver des mots pour dire ? La rencontre avec des artistes Hip-hopeurs au collège n’a que peu d’effets… C’est vraiment des années d’étude et de doutes. Qu’est-ce que je leur apporte, n’étant plus moi-même une référence culturelle ? Bien sûr, le groupe UNSS continue lui de fonctionner avec des projets, des sorties au théâtre, des rencontres. Mais cela ne me contentera pas. J’ai toujours travaillé pour une danse pour tous !
Ce sont des années d’écriture :
•  Recadrer les incompréhensions et les interprétations des premiers écrits. En effet, solliciter le regard critique de l’élève spectateur par le témoignage verbal, à propos d’une ou des images fortes qu’ils gardent en mémoire, me vaut les foudres des spécialistes de la danse. Et je dois m’expliquer, ce sera le sujet de mon DEA : « Des yeux pour danser » 1995…
•  Poursuivre les propositions didactiques pour les enseignants, notamment dans les cahiers du CEDRE (groupe ressources de l’AEEPS que je rejoints).
•  Approfondir le travail artistique et culturel, grâce aux projets interdisciplinaires. Dans le département une semaine de la danse avec les professeurs de danse du milieu extra scolaire, conduite par un chorégraphe. Lecture de spectacles…
Ce sont des années d’interrogations où il est difficile de transmettre ses doutes, car les actions d’éducation artistique par la danse continuent. Cependant les propositions d’ateliers de danse contemporaine pour les élèves ne semblent plus évoluer. Je trouve que nos projets artistiques se ressemblent. Pourquoi les univers, soi-disant particuliers de chaque artiste, ne permettent-ils pas de faire vivre des ateliers nouveaux à nos élèves ? Pourquoi cette impression, de redite, de déjà vu ? Nos élèves changent, mais pas les sollicitations corporelles… Je suis en quête de passeurs !
Pourquoi les institutions de la danse, les festivals de danse proposent des re créations ? Pourquoi est-ce que je trouve, moi aussi, de l’intérêt à revoir d’anciennes chorégraphies ? De ré apprendre le travail des pionniers de la danse contemporaine ? De mesurer leur capacité d’innovations dans les corps, les espaces, les messages de liberté ? D’observer les écarts, les ressemblances avec les chorégraphes d’aujourd’hui ?

Le laboratoire du CRIS m’offre en 2000, la possibilité de poursuivre la recherche autour de la problématique de la mixité (sous la double tutelle de Thierry Terret et de Geneviève Cogérino). Le travail sur le genre, la compréhension de la hiérarchisation des différences sexuelles dans la vie sociale et culturelle et de ses effets dans les apprentissages à l’école ouvrent un nouveau champ d’interprétation des pratiques enseignantes et notamment de celles de la danse. Et pour le dire trivialement, comment faire réussir les filles en activités physiques et sportives et faire réussir les garçons en activités physiques artistiques ? (« Danse et identité de genre » dossier EPS n°67, 2005) C’est avec plaisir que je regarde autrement les enseignements de la danse, avec le filtre des connotations masculines et féminines, que j’analyse les propositions didactiques « asexuées » (on parle toujours de l’élève), que je lis aussi les propositions chorégraphiques. Des écrits concernant ces recherches, des participations à des colloques, viennent renforcer notre envie avec ma collègue chercheuse Sigolène Couchot-Schiex, de témoigner des discriminations inconscientes faites à beaucoup de filles et quelques garçons dans les cours d’EPSA. La danse me semble t-il, reste une activité scolaire qui permet le mieux d’échapper aux stéréotypes de sexe à la seule condition que l’enseignant soit conscient de cette problématique et trouve les moyens de la dépasser.

Pour conclure, j’utiliserai, pour éclairer mon cheminement professionnel, les 4 éléments élaborés par l’ACELF (association canadienne d’éducation de langue française 2006) : Le passeur culturel est à la fois un intermédiaire, un éveilleur, un accompagnateur et un modèle.
Si je me considère alors sous ce vocable de passeuse, j’accepte volontiers d’être :
•  Intermédiaire : permettre l’accès à de nouvelles rives culturelles et artistiques, grâce à des propositions de situations d’enseignement empreintes de culture. Favoriser l’entrée au théâtre pour voir les œuvres.
•  Eveilleuse : inciter à l’appréciation, à l’appropriation et à la création artistiques. Transmettre alors le goût des formes, la plasticité corporelle, l’utilisation du langage pour partager les symboliques. Susciter le plaisir du mouvement dansé.
•  Accompagnatrice : mettre en œuvre des moyens efficaces pour donner confiance, pour encourager et soutenir la démarche artistique des adultes et des jeunes. Choisir des objets d’enseignement qui correspondent à des engagements esthétiques et artistiques.
•  Modèle : être un participant actif à la vie culturelle et artistique de sa cité. Témoigner par ses connaissances et sa sensibilité aux œuvres d’une vision émancipatrice du monde.