Doriane Larcher

~ Rencontre avec Doriane LARCHER ~
Danseuse chorégraphe de la Cie L’arbre Voyageur

Interview réalisé par Marielle Brun pour Passeurs de Danse le 5 mai 2011

Présentation du dossier | Martinique | Nouvelle Calédonie | Parfum de voyage |
Compagnie DIFE KAKO | Doriane Larcher

Passeurs de danse : Peux-tu restituer tes origines par rapport aux Outre-Mer ?

Doriane Larcher : Du côté de ma mère, c’est plutôt la filiation indienne, Pondichéry. Ses aïeuls étaient déjà en Martinique – en 1848 abolition de l’esclavage, en Martinique,la main d’oeuvre a été cherchée en Inde, les fameux comptoirs français… Son père était un Indien blanc et sa mère une « négresse ». Ma mère est ce qu’on appelle dans les Antilles une « chapée – coulie », c’est-à-dire une coulie « mélangée » ou encore plus poétique une « coulie échappée » , catégorie qui vivait et vit encore beaucoup dans le nord de l’île, dans la même commune de naissance qu’Aimé Césaire.

Du côté de mon père, sa mère -donc ma grand-mère paternelle- était plutôt de type amérindien : avec des pommettes saillantes, des yeux bridés, des cheveux très lisses et un teint cuivré . Même si les Antilles sont une véritable « mosaïque de races » on parle toujours de couleur de peau aux Antilles. La filiation de mon grand-père paternel serait bretonne… , un colosse de plus d’1m80 , blanc aux yeux bleus.

Je suis ainsi la résultante d’une île sur laquelle se sont mélangés : des Indiens, des Amérindiens-des autochtones, puis l’histoire a amené des Africains (par le biais de l’esclavage), puis une population indienne : pour une nouvelle main d’œuvre, et des Chinois, des Vietnamiens, des syriens pour le commerce .

Je trouve qu’il y a en Martinique où je suis née , « une sorte de creuset » de l’humanité et, dans mes origines cette multiplicité de couleurs de peau .

Passeurs de danse : Tu es donc née en Martinique, jusqu’à quel âge y as-tu vécu ?

Doriane Larcher : J’y ai grandi jusqu’à 6 ans et en ai gardé beaucoup de souvenirs particulièrement les odeurs et le goût des fruits des îles et de la canne à sucre. Des images de Carnaval, sur de grands chars, des enfants déguisés en « diablesse » tout de noir et de blanc vêtus .

Notre famille s’est ensuite installée en Métropole mais j’ai eu la chance de retourner en Martinique tous les 3 ou 4 ans et d’y rester de mi-juin à la mi-septembre. Là, je me replongeai dans cette culture, d’autant plus que mon père nous racontait des histoires de son enfance car il tenait beaucoup à ses racines. Ces périodes d’immersion ont déposé des traces en moi mais sans aucune nostalgie. J’ai construit mon histoire ici en Métropole mais avec des parfums et des senteurs de là-bas.

Passeurs de danse : As-tu eu dans ce parcours des rapports particuliers à la danse, à la musique, au chant martiniquais qui constituent des traits saillants de la culture antillaise et qui auraient pu colorer ton identité artistique ?

Doriane Larcher : En fait, non. C’est comme si je portais en moi la danse, sa vibration. Enfant, lors des réunions de famille en Métropole, je dansais beaucoup pour l’ivresse, la joie. C’est plutôt la conception de la famille chez mon père et le déracinement qui l’ont poussé à recréer des fêtes.

Je n’ai jamais appris les danses traditionnelles martiniquaises, comme le « Bélè » , même si j’apprécie de les voir. En revanche, enfant, j’ai suivi des cours de danse rythmique en Métropole au cours desquels j’ai d’ailleurs appris des danses juives, des danses provençales. Mais c’était à l’époque, je crois, une manière pour mes parents, de canaliser mon énergie.

Passeurs de danse : Quand tu as commencé ta carrière d’artiste chorégraphique en créant tes propres danses, identifies-tu quelque chose qui a à voir avec tes racines ?

Doriane Larcher : Oui, complètement. Même si on est exilé, on porte son île en soi et il me semblait important de l’exprimer , ce que j’ai fait dans mon premier solo, avant de passer à autre chose. Ce solo s’appelait La Caldeïra ou l’Enfant -volcan. « La Caldeïra » , c’est le haut de la montagne volcan qui s’affaisse et fait comme un chapeau qui se creuse au sommet pour abriter un lac.

Je suis née à Saint-Pierre, « au pied de la montagne » et je refusais de marcher jusqu’à 16 mois. Ma mère m’a alors emmenée plusieurs fois au pied de la montagne et m’a massée avec la boue du volcan , la terre fertile, et qui a contribué à faire mes premiers pas.

Beaucoup plus tard, j’ai lu le livre de Raphaël Tardon « La caldeira » et j’ai été fascinée par cette ville : Saint- Pierre, engloutie par la lave du volcan en 1902 : 30 000 morts en 5′. Cette ville le « Petit Paris » était effacé de la carte, et c’est aussi là où je faisais mes premiers pas…

Je suis ainsi partie de là, pour construire ce solo de 50 minutes dont la première représentation s’est faite à Fort de France, en 1989 lors du Festival dirigé par Jean-Paul CÉSAIRE : « Poussières d’îles » .

C’était une manière d’écrire mon histoire en m’appuyant sur des personnages du livre à partir desquels j’ai extrapolé, imaginé, créé.

J’avais beaucoup rêvé suite à cette lecture et j’ai fouillé jusqu’à retrouver un témoignage audio d’une vieille dame qui avait été témoin de l’éruption du volcan, elle décrivait le voile de la montagne Pelée, comme celui d’une religieuse. Toute la construction de ce solo s’est faite comme envoyée par des rêves.

Je l’ai joué la première fois en métropole, au Théâtre d’Arras, ce fut un moment inoubliable, pour le public, pour moi-même. Cette pièce a « tourné » …puis :

En 1994, Guy Darmet directeur artistique et programmateur de la Biennale Internationale de la Danse de Lyon, m’ invite à danser ce solo. Je crois qu’il y avait déjà tout dans ce premier solo, qui m’a permis d’avoir ma première aide à la création du Ministère de la Culture en 1995. Elle a eu beaucoup de succès et je l’ai joué jusqu’en 2000.

Passeurs de danse : Quand on débute avec une expérience si forte, comment as-tu continué ensuite ?

Doriane Larcher : Ce fut très difficile car, pour ce solo, tout m’avait été « envoyé » et d’un coup, je me retrouvais qualifiée de chorégraphe très talentueuse avec de belles critiques. C’était comme si j’étais dépositaire de quelque chose de nouveau qui faisait le pont entre la Caraïbe, l’Afrique, l’Asie.

C’était trop tôt. Cela me plaçait comme au sommet d’une montagne et me donnait le vertige, du vide, de l’après. De quelque chose de quasi instinctif, il a alors fallu que je creuse patiemment les arcanes de cette mémoire corporelle, historique.

J’ai ensuite fait un duo encore inspiré d’un auteur antillais (Patrick Chamoiseau ) que j’ai intitulé « Huit clos en Tamboisquès » qui a constitué un deuxième pas dans mon parcours artistique, puis « une Ile, une Nuit » pièce pour quatre danseuses, inspiré d’un roman de Daniel Maximin .

Mais l’après -Caldeira a été douloureux car on m’a beaucoup demandé de me définir entre l’Afrique et la modernité, la contemporanéité de l’Occident. Et je ne pouvais pas me définir de façon aussi tranchée. Je n’étais pas dans l’écriture chorégraphique dite contemporaine mais je décrivais quelque chose d’indéfinissable.

A force de vouloir que je prenne position, cela m’a un peu enfermée jusqu’aux années 2000 car j’ai eu besoin de me raccrocher à l’histoire de mon peuple, de retourner aux origines pour trouver une légitimité.

Passeurs de danse : Ta dernière pièce « Miss Daisy » m’apparaît affirmer une maturité par rapport à la pression que tu as ressentie de situer ta danse dans une catégorie. Elle me semble porter en effet la multiplicité et la richesse de tes origines en une entité ouvrant sur l’universalité de l’idée d’origine et des traversées qui s’ensuivent.

Doriane Larcher : Ce que j’ai oublié de préciser, c’est qu’en 1989-1990, j’écris le solo la Caldeira qui exprime ce que je suis, mais qu’à cette même période, je rencontre un Maître de Taï Ji Quan chinois, GU Meisheng , qui révolutionne complètement la vision du monde que j’avais à l’époque en tant qu’ultramarine. J’étais en effet née dans une île et porteuse de cette culture, mais qui pouvait aussi être un carcan. GU Meisheng m’a permis de ressentir à travers le travail sur l’énergie et le taï chi chuan que je ne suis pas seulement mes origines, ce qui m’a libérée d’un certain enfermement et m’a permis de dire ce que je suis profondément au-delà de la culture.

De 1994 à 2000, j’ai progressivement digéré ce travail sur l’énergie qui m’a rendu plus libre en trouvant un espace qui relie l’intérieur et l’extérieur, le corps et l’esprit. J’ai commencé à écrire des pièces entre 2001 et 2006 ( Soul train, Eurydice sous la pluie des mangues et Les rêves d’Eurydice ) qui ont été fondamentales pour me libérer ou plutôt « transcender » ma culture. Ces pièces concrétisent mon travail sur l’énergie notamment à travers le rythme, en particulier le ternaire qu’on peut ressentir dans le corps dans la circularité d’un flux et reflux et pas forcément par une musique extérieure.

Avec Soul train , pièce pour 4 danseurs, j’ai pu leur transmettre ces nouveaux chemins d’énergie. A partir de ce moment, je suis repartie dans un travail d’approfondissement solitaire autour de la question : alors maintenant, qu’as-tu à dire ?

C’est au cours de ce questionnement qu’est née « Miss Daisy » en 2009 après une année de gestation . Pour créer cette pièce, je suis partie de presque rien ! D’une photographie poétique qui montrait une toute petite fleur blanche, fragile au milieu d’un champ rouge. J’ai eu envie de faire l’inverse : être vêtue tout de rouge dans un univers très épuré : entièrement blanc.

Je n’ai plus eu peur du vide comme de 1989 à 98, mais je me suis déposée sur ce vide dans la simplicité et la confiance en ce que j’étais . Je me suis réapproprié toute mon histoire et je vais maintenant au-delà de ça, au-delà de l’Afrique, de l’Asie, de la Caraïbe. La question que je me pose toujours « Qui suis-je ? » est maintenant au-delà de ma personne. Elle renvoie à l’humanité, à la mort et au cycle des saisons, comme dans Miss Daisy.

Passeurs de danse : Dans l’imaginaire occidental, les Outre-Mer sont souvent associés à des clichés, comme si leur image et leur histoire restaient figées autour d’un patrimoine traditionnel. Ces stéréotypes ne correspondent pas à la réalité de leur évolution en 2011 qui les célèbre institutionnellement. En tant qu’artiste chorégraphique, qu’as-tu envie de célébrer des Outre-Mer ?

Doriane Larcher : Je pense que cette année est une opportunité merveilleuse que les ultramarins doivent saisir pour dire ce qu’ils sont justement au-delà des apparences et des clichés. Il faut que nous ayons le courage de nous regarder, y compris avec nos souffrances, comme pour tous les peuples, pour s’accepter avec tout ce que nous sommes pour pouvoir s’ouvrir au monde et être les auteurs de notre propre parole. Mais d’abord, il faut sans doute une réconciliation entre ceux qui sont partis des Outre-Mer, la diaspora et ceux qui sont restés.

Passeurs de danse : Qu’est-ce qui justifie pour toi qu’on rassemble dans un même terme les Outre-Mer et les ultramarins ?

Doriane Larcher : Je n’ai pas de réponse car en fait, les ultramarins ne se connaissent pas entre eux. C’est peut-être aux ultramarins eux-mêmes de prendre en charge cette rencontre et de se célébrer dans une terre nouvelle. Cela pourrait être le fait d’un visionnaire artiste inspiré comme l’était Aimé Césaire par exemple qui rassemblait les peuples. Cela m’amène au festival Paroles mêlées que je souhaiterais réalisé probablement avec un partenariat du responsable culturel de Montluçon au printemps-automne 2012, où les paroles liées aux Outre-Mer se mêleront à travers les arts (le conte, la danse, la musique, le texte) et permettront d’échanger, d’écouter, de transmettre, de partager.

Passeurs de danse : Finalement, en tant qu’artiste chorégraphique, qu’as-tu envie de transmettre qui soit en relation ou non avec les Outre-Mer ?

Doriane Larcher : Je n’ai pas du tout envie de passer mon identité ultramarine, ce serait réducteur mais plutôt cette humanité qu’on porte en nous. J’ai envie de transmettre une invitation à faire tous les voyages possibles de l’intérieur, de ce que nous sommes vers l’extérieur, à pousser les portes, à traverser les frontières.

http://www.arbrevoyageur.com