Paroles de Florian, Nixon et Yoann
recueillies par Hélène Brunaux, professeur EPS
UFRSTAPS de Toulouse (31)
Troisième année de Licence STAPS, polyvalence danse (L3)
Contexte
Rencontre avec trois étudiants inscrits en L3 STAPS.
Florian, Nixon et Yoann (22 ans) sont engagés dans la filière « éducation et motricité » dans une visée de formation au métier d’enseignant. Ils ont vécu deux cycles de danse en deuxième année sur toute l’année, et une formation en relation avec la didactisation de la danse en troisième année.
Description du contexte de l’expérience :
Ces trois étudiants se sont investis dans un court travail de création d’une pièce chorégraphique (environ 8h de travail) proposée sur le campus de leur université. Cette proposition s’est inscrite dans un projet plus large, un « événement artistique dans l’espace urbain », monté en partenariat avec plusieurs structures universitaires. Un parcours chorégraphique déambulatoire fut proposé aux usagers et aux non usagers du campus.
L’entretien vise à questionner leur parcours dans la danse, leur manière d’en projeter sa transmission, et les effets de cette expérience « hors-les-murs » sur leur pensée en action.
Paroles de Florian, Nixon et Yoann
Qu’est-ce que c’est la danse pour vous ? Quand vous êtes arrivés à l’UFR et maintenant ?
– Nixon : mon expérience personnelle au tout début, c’est en arrivant. Pour
moi, je m’attendais à faire soit de la danse africaine ou un truc qui bouge
vachement et c’est après que l’on m’a dit que c’était de la danse
contemporaine, qu’il fallait monter le petit doigt sur des trucs…
On te disait qu’il fallait monter le petit doigt ? Des trucs comme « il y a une
fleur qui vit…. ». C’est-à-dire, comment ils t’en parlaient les autres ? Ils étaient
comme moi, ils étaient dégoutés. On s’était dit que ça allait être nul… parce
que cela ne bougeait pas et que c’était une vision complètement différente
de notre vision à nous, quoi. Et c’est après, en se lançant dedans et en
comprenant ce qu’il faut faire ; c’est là que j’ai commencé à y prendre goût et
j’ai essayé de m’exprimer et, c’était trop trop bien quoi.
Et comment tu y as pris goût ? Justement, en fait, c’est justement. Pour moi
avant comme je dansais en boîte de nuit et n’importe où, pour moi, la danse
c’était limite activité sportive où on ne fait que danser juste pour gaspiller de
l’énergie, alors que là, on apprend que l’on peut utiliser notre corps
autrement, c’est un outil qui nous permet de communiquer et faire passer
des messages. C’était vachement bien.
Et cela a transformé des choses en toi ? Oui, cela a complètement changé ma vision pour la danse. C’est sûr que j’ai appris des trucs sur moi, mais cela m’a aidé à les développer, à développer ma personnalité. Cela m’a enrichi, tout ce qui est niveau caractère déjà, à exprimer tout ce qui est au fond de moi, cela m’a permis de faire sortir ce qui était à l’intérieur.
– Yoann : pour moi, cela a été une expérience assez particulière. Comme Nixon, je suis arrivé avec des représentations de la danse qui étaient un petit peu…j’étais sceptique ; j’étais curieux en même temps mais j’étais sceptique. C’est vrai que la représentation que j’avais, c’était quelque chose d’assez féminisé… Mais j’étais curieux aussi car je regardais des personnes qui faisaient de la danse contemporaine…
Où tu en voyais ? Dans les centres culturels. En fait, je sais que j’étais déjà entré en contact avec cette approche, avec ce type de mouvement. J’ai toujours été un peu attiré, en fait. Sans jamais m’investir dedans, mais j’ai toujours eu beaucoup d’attirance pour cette façon de… pour cette conception de la danse. Déjà je trouvais ça beau et il y avait un projet derrière, c’était un mélange de théâtre, de danse, il y avait un peu de tout, c’était assez complet. En fait, j’aimais bien cette façon de concevoir la danse ; pas quelque chose qui était vide, il y avait de l’émotion dedans, un message derrière.
Au moment de faire de la danse en deuxième année, tu avais déjà cette vision de la danse contemporaine ? Oui.
Donc, tu étais content que l’on te propose cette expérience ? J’étais partagé, c’est-à-dire d’un côté j’étais content de pouvoir essayer et de l’autre côté comme j’étais quelqu’un de relativement inhibé, je pensais que ce serait un peu difficile pour moi.
– Florian : moi, quand on m’a dit que j’allais faire de la danse en L2, je le
savais déjà à l’avance. J’avais à la fois hâte, parce que j’ai toujours aimé
danser et à la fois je me disais « ouille », qu’est qu’ils vont nous faire faire
comme danse ? J’avais peur que ce soit quelque chose de vachement
codifié, esthétique etc. J’avais vraiment peur de ça et quand on m’a dit que
c’était de la danse contemporaine, j’ai soufflé, j’ai dit « ouf ».
Tu connaissais aussi ? Je connaissais un petit peu, oui. Après, j’en avais
pas forcément la bonne représentation, mais je savais qu’il y avait un petit
message à faire passer derrière, qu’on pouvait vraiment aller un peu là où
on voulait par rapport à notre propos. Qu’on nous donnait des contraintes et
que l’on pouvait produire par nous même en travaillant le mouvement, laisser
libre court à notre imagination. Cela je le savais, et c’était plutôt bien.
Et l’expérience correspondait à ce que tu attendais ? Oui… oui, oui, oui. En
fait, ce qui s’est passé, c’est que je n’ai pu faire que le premier semestre
parce que je me suis blessé, mais j’ai pu le faire avec des béquilles comme
contrainte pour le solo, en fait. Mais c’est vrai que ce n’est pas pareil.
D’ailleurs, j’ai préféré travailler le solo que le collectif. Dans le collectif, je n’étais qu’avec des filles qui ne faisaient que du modern-jazz avant et du coup elle l’intégrait beaucoup dans leur danse qui était très codifiée et cela ne correspondait pas trop à ce que j’attendais.
Elles avaient du mal à s’échapper de leurs codes ? Ouais, ouais, ouais. Par rapport à ça, j’ai été déçu…
Et vous, vous avez préféré le solo ou le collectif ?
– Nixon : le collectif, parce qu’on s’entendait bien et on se complétait pour mettre en place un truc qui tenait la route et qui était assez bien, en fait. C’était différentes idées et on avait Aloïs avec nous, donc lui, il nous proposait des trucs qui nous aidaient vachement, on avait beaucoup plus d’idées.
– Yoann : moi, les deux. Le collectif c’était plus rassurant par rapport à ma timidité. Mais passer par le collectif c’était important pour le solo.
Qu’est ce que cela vous a appris, cette expérience de L2 sur les autres, les artistes, la culture chorégraphique de manière plus large ?
– Yoann : c’était la première fois que j’avais l’occasion de regarder les autres
dans des activités moins sportives, de les voir s’exprimer différemment de
ce que j’avais l’habitude de voir et c’est une expérience intéressante. J’étais
surpris par certaines personnes. Je ne m’attendais pas à les voir faire
certaines choses, c’était instructif.
Et sur la manière de travailler avec les autres ?
– Florian : moi, je trouve que la danse contemporaine, en connaissant les
personnes qui dansaient avec moi, je trouvais que cela leur faisait ressortir
vraiment ce caractère qu’elles avaient. Par exemple des gens qui étaient
timides n’étaient pas totalement dans leur danse et les gens qui avaient
peur de l’échec, pareil, ils abandonnaient très vite. Tout ressortait en fait, ça
c’était vachement intéressant. Du coup, on peut travailler vraiment sur ces
transformations dans la danse.
Comme si les défauts des gens devenaient une richesse, une contrainte
et un matériau ? Oui, dans cet esprit là.
– Nixon : pour moi, c’est assez général. Par rapport à notre groupe, cela dévoilait des qualités sur d’autres personnes. Justement, les garçons ils étaient plus relâchés, ils étaient plus dans le jeu que les filles. Elles avaient plus de difficultés à entrer dans la danse.
– Florian : oui, je trouvais aussi.
Pourquoi, à ton avis ?
– Florian : c’est vrai que je trouvais que les garçons s’impliquaient plus ; enfin, cela dépendait, il y avait aussi des garçons qui ne s’impliquaient pas beaucoup. Moi, pour mon cas, c’était les filles qui faisaient d’autres danses, elles s’impliquaient moins que les garçons. Je ne sais pas si elles n’y trouvaient pas ce qu’elles faisaient à côté, je ne sais pas…
– Yoann : il y a peut être déjà plus de besoin chez les garçons d’avoir ce genre d’activités artistiques que les filles ?
Au niveau de la culture chorégraphique ? Vous avez changé votre façon de voir la danse ?
– Florian : pour ma part, oui. Déjà, cela m’a permis d’avoir envie d’aller voir
des spectacles de danse contemporaine, ce que je ne faisais pas forcément
avant. Maintenant, je regarde la programmation dans les théâtres, s’il y a des
chorégraphes que je connais qui passent. Et s’il y a de la danse à la télé, je
vais essayer de voir ce qu’il veut faire passer, ce qu’il y a derrière… on a un
regard plus critique et à la fois… des petites grilles dans la tête.
– Nixon : moi, quand je regarde de la danse, je sais que c’est vachement
réfléchi, qu’il y a message à faire passer et moi j’essaye de décoder ce
message, même, j’essaye de repérer les mouvements de bras, les tours,
et voir si ils utilisent les objets qui sont sur la scène, qu’ils ne soient pas là
juste pour un décor, qu’ils les utilisent. Il y a un côté assez critique.
– Yoann : c’est vrai que c’est agréable de chercher le message, ce qu’il y a
derrière, que ce ne soit pas complètement décontextualisé.
Et est-ce que vous avez eu l’occasion de discuter avec d’autres personnes, de passer votre savoir sur la danse en quelque sorte ?
– Nixon : oh, oui. Justement, c’était avec ma copine, et à un moment, elle voulait s’inscrire à la fac au Mirail dans un module de danse. Et elle ne comprenait rien, comment faire un mouvement, alors là, je lui ai donné des idées, je lui ai dit, là c’est le travail sur le poids, tu laisses tomber… C’était assez amusant. J’ai essayé de lui donner des informations.
– Florian : moi c’était un peu pareil que Nixon. En fait, on allait voir des spectacles avec ma copine et cela nous permettait vraiment de partager. Elle, elle a fait de la danse dans des groupes et elle a vraiment un esprit danse contemporaine et elle m’a beaucoup aidé pour ma chorégraphie, pour partager des idées et c’est vrai que quand on va voir des spectacles, on a chacun des visions différentes sur les spectacles et c’est assez intéressant. Elle, elle sera plus sur le côté esthétique de la chose, et moi je vais essayer de trouver des petits messages qui sont à droite, à gauche. Elle ne va pas prendre les mêmes indices. Sinon après, avec des copains qui rigolaient encore sur la danse en fait, et leur expliquer comment c’était, comment cela se passait. Je leur montrais aussi et cela changeait un peu leur vision sur la danse contemporaine. Ils disaient que c’était un truc un peu « chtarbé » avant et au final ils disaient « ah, ouais, c’est quand même bien ».
Et tu n’avais pas d’appréhension pour leur montrer ? Non, non non.
Et quelles différences vous faites entre vos autres pratiques physiques privilégiées et la danse ?
– Nixon : pour moi, il y a des similitudes et des différences par rapport au
rugby. Le rugby, cela concerne la dépense physique, on va dire – la danse
aussi – mais la danse cela va être plus un moyen de communication.
– Yoann : pour moi, l’escalade c’est aussi une activité esthétique et c’est
aussi une activité collective où il y a des échanges entre les personnes qui
la pratiquent. C’est une activité où l’on va ouvrir des voies et on va créer des
passages à partir de rien et c’est là où cela se retrouve. Et aussi, c’est
complémentaire car c’est une activité qui… pas qui entretient…mais qui
prépare aussi à la danse.
– Nixon : dans le rugby, c’est aussi monter un projet ensemble.
– Florian : moi, c’est plus le travail sur soi. En kayak, je travaille vachement
sur le mental, sur des parcours assez longs, il faut vraiment puiser des
énergies profondes. Je retrouve cela dans la danse dans le sens où c’est
un travail sur soi, je travaille beaucoup sur le corps, sur les sensations.
En kayak, c’est pareil, si on n’est pas capable de savoir où l’on plante sa pagaie, le geste qu’on fait sur l’action. Au fur et à mesure on expertise cela et en danse c’est faire avec son corps et le laisser vivre, c’est un peu pareil. Je trouve que dans ce sens, c’est complémentaire.
L’expérience que vous êtes en train de vivre avec l’événement artistique dans l’espace urbain, qu’est ce que cela vous a apporté, déclenché, ou pas…?
– Nixon : comme là c’est dans un espace public, il y a d’autres visions, d’autres personnes extérieures à la fac qui peut être n’ont pas une critique de la danse comme chez nous et là je me suis dit « eux, ils ne vont peut être pas bien comprendre ce que l’on veut faire passer, ils vont nous prendre pour des fous… ». Et après cette expérience d’utiliser notre entourage, notre environnement pour nous exprimer c’est enrichissant.
Et le fait de passer pour « des fous », c’est plutôt négatif ? Oui, mais après je me suis dit qu’il y aura plus de personnes qui ont une vision qui leur permettront de comprendre ce que l’on veut faire passer, quoi.
– Florian : c’était un peu comme Nixon, cette idée que les gens nous prennent pour des fous en dansant à l’extérieur. Mais je pense que j’en joueais plutôt. Parce que j’ai toujours bien aimé être un peu dans les marges. C’est quelque chose que j’aime bien, que les gens ne perçoivent pas forcément, ne comprennent pas forcément. C’est aussi changer leurs représentations et les amener un jour à ce qu’ils nous prennent pas pour des fous mais qu’ils apprécient ce que l’on fait. Ils n’ont pas forcément l’occasion de voir des spectacles comme ça.
– Yoann : oui, c’est une expérience qui rend un peu perplexe. Mais être ensemble dans l’espace public, c’est une force, en solo je ne l’aurai pas fait.
Qu’est ce que cela a changé – ou pas – dans vos trajets, dans la façon de
composer la danse, car là, il y a un travail avec les matériaux urbains ?
– Yoann : c’était quelque chose d’assez curieux, dans la démarche urbaine
justement. Et touts les différents types d’expressions qu’il pouvait y avoir
dans le milieu urbain. Par exemple, avec « Yamakasi », faire de la ville un
terrain de jeux. Et je trouvais cela intéressant de travailler sur des choses
quoi pouvaient sembler assez banales et les transformer d’un point de vue
artistique. La frustration, c’était pas mal au niveau du temps, parce que l’on
était pressé et que cela demande du temps de travailler dans cet espace.
– Florian : ce serait à refaire. On aurait du temps pour travailler, pour enrichir.
Ce travail avec les objets qui nous entourent, je trouve ça vraiment
intéressant.
Dans votre futur professionnel, si vous devez faire faire de la danse à d’autres personnes, est-ce que vous tenteriez cette ouverture sur des lieux ?
– Yoann : avec plus de maturité je pense.
– Nixon : dans une salle, on peut adapter l’espace à notre besoin alors que là, à l’extérieur, nous même nous devons nous adapter à la matière.
– Florian : c’est plus anxiogène à l’extérieur. Par rapport au public. Il faut plus de maîtrise sur l’activité, je pense.
Avec quel niveau de classe vous aimeriez bien monter un cycle danse ? Vous êtes-vous posé la question en tant qu’enseignant débutant ?
– Yoann : en tant qu’enseignant expert, plus avec des adolescents. En tant que débutant, je ne sais pas, probablement des lycéens. Parce qu’ils ont plus de maturité déjà… l’aspect plus cognitif.
– Florian : avec des adolescents, je pense que j’aurais un peu de mal, ils sont vachement bloqués. Si on ne sait pas bien les prendre. Je me dis qu’avec des 6èmes, ce serait différent, plus facile parce qu’ils sont plus malléables et ils aiment bien découvrir, jouer aussi, jouer à travers la danse.
– Nixon : oui, ils ont plus d’idées, ils découvrent. Même avec des plus petits.
Par rapport à l’expérience sur l’événement dans l’espace urbain, qu’est-ce-que vous avez gardé comme travail corporel, comme transformations corporelles éventuelles ?
– Yoann : la contrainte de l’espace étroit. La contrainte spatiale qui amène un travail d’équilibre et de déséquilibre davantage. Le travail sur les différents volumes, d’avoir des dénivelés qui amenaient des chutes. On passait dans un étage inférieur et c’était très intéressant et à approfondir pour une autre expérience de ce genre.